Le sens du travail dans nos vies
Homélie du 1er mai 2021
Nous en faisons régulièrement l’expérience, il n’y a pas que les choses et les objets qui s’usent, il y a les âmes et leurs regards. Il y a ce regard que nous portons sur les choses dont, très souvent, nous découvrons combien il les écrase.
Nous en avons une belle illustration dans ce passage où des gens du petit village de Nazareth ne peuvent pas imaginer que ce fils de charpentier puisse être détenteur d’une telle sagesse. Ils en ont fait le tour, ils ont eu trente ans pour le connaitre. Ils connaissent sa famille et son cousinage. Ils étaient choqués à son sujet. Que notre regard ait besoin d’être restauré à la lumière de la foi, nous en faisons dramatiquement l’expérience.
Combien de fois nous portons un mépris sur la vie, bassement matérielle, sous prétexte qu’elle est quotidienne ? Rien de moins chrétien que cela lorsque l’on voit comment le Seigneur est venu à la fois d’en-haut, ressaisir par en-bas toute chose et l’habiter de Sa présence.
Nazareth, c’est ce grand mystère qui nous invite à regarder ce qui nous entoure, ce qui fait le quotidien le plus ordinaire, avec la perspicacité de la foi, le regard contemplatif qui est celui de Dieu.
C’est à cela que nous invite fortement cette année dédiée à Saint Joseph qui est le saint même qui incarne cette habitation du quotidien et qui, dès avant la venue de Jésus et plus encore lorsqu’il est devenu son gardien, a contribué à ce renouvellement par l’intérieur de toute chose.
Dans la belle méditation que le pape François consacre à Saint Joseph, Patris Corde (« Avec un coeur de père »), il y a de très beaux passages sur les différentes facettes de ce quotidien que Saint Joseph est venu habiter de belle manière avec lui.
En ce jour où nous fêtons Saint Joseph travailleur, nous aimons à reprendre quelques éléments de cette réflexion du Pape sur le sens profond du travail. Ce serait aussi terrible, qu’en ne respectant pas ce travail, nous le dévaluions aux yeux des hommes, aux yeux de Dieu. Quelques points qui nous redisent ce sens du travail dans nos vies et que l’absence de travail qui peut être dramatique pour de nombreuses personnes aujourd’hui révèle avec acuité.
Le chômage détruit des hommes et des femmes comme nous révélant en négatif que le travail, à l’inverse, est appelé à construire l’homme. Ce que dit effectivement le Pape : « Il le construit par le développement de ses potentialités et de ses qualités personnelles .»
Le travail fait partie de la croissance, de l’épanouissement de notre humanité. Deuxièmement, ce travail est invité, par son fruit, à entrer au grand service de la société. Pas seulement de manière utilitaire mais aussi communautaire, « le travail construit la communion humaine ». Nous savons très bien les relations que nous pouvons établir avec des gens de métier par exemple. Combien il est instructif de se laisser instruire par celui qui, par son travail, a toute l’expérience, une leçon des choses, une leçon des êtres, une leçon de la vie. Le Pape insiste aussi sur ce côté constitutif: « noyau originel de la société », il est ce qui construit la famille. Une famille qui est dispensée, qui est privée de travail, est menacée d’être détruite. « Une famille où manque le travail est davantage exposée aux difficultés, aux tensions, aux fractures et même à la tentation désespérée et désespérante de la dissolution. » Cette responsabilité qui doit être la nôtre est de garantir à tous la possibilité de cette digne subsistance que produit le travail.
Portant encore plus en profondeur son regard, il nous invite à découvrir dans le travail une collaboration avec Dieu lui-même. Chaque homme, chaque femme, par le travail, devient un peu créateur du monde qui l’entoure.
Ce matin, en regardant le vitrail qui est à l’intérieur de la petite chapelle de Notre Dame de Nazareth, Notre Dame de Lorette à Alençon, je m’émerveillais de voir que c’est par la personne même de Joseph que Jésus, non plus seulement enfant mais jeune homme, a appris lui, le fil de Dieu, co-créateur avec son père dont le psaume nous disait tout à l’heure : « Avant que naissent les montagnes, il a contribué à l’enfantement de la terre et du monde ». Ce Fils incarné, ce Verbe de Dieu, a dû apprendre de son père adoptif le sens humain du travail. Il l’a reçu de l’expérience même de son père…
On parle de l’humilité et de l’abaissement que le Christ a opéré dans son incarnation, nous en avons là une belle illustration : cette humilité d’avoir reçu de Saint Joseph ce sens du travail bien fait, du travail utile pour le petit bourg de Nazareth.
Il est bon de se laisser sur cette méditation du mystère de Nazareth et de l’incarnation, de se laisser refaire dans le regard que nous avons à porter sur notre vie quotidienne. Ce lieu qui fait pendant à la chapelle de Lorette qui est à l’autre bout de la ville, ce lieu illustre avec le témoignage de la famille Martin cette grande dignité du quotidien.
Ce passage de l’Évangile de ce matin nous invite à éviter de réduire la Sainte Famille, comme nous le faisons trop souvent, à quelque chose qui est, bien sûr, éminemment grand avec cette Trinité humaine de Jésus, de Joseph et de Marie, mais réducteur aussi sur le plan humain, si nous oublions que la famille de Jésus était bien plus large : Anne, Joachim et les cousins Jacques, Joseph, Simon, Judes et tant d’autres. On n’imagine pas ce petit noyau réduit à Nazareth. La maison de Nazareth était sans doute beaucoup plus remplie qu’on ne peut l’imaginer.
Ce mystère d’une communion qui se reçoit, qui s’apprend à travers la vie familiale du noyau le plus étroit jusqu’à ce cercle de solidarité qui s’étend à la taille de nos familles humaines pour que là, apprenant dans ce laboratoire de la communion qu’est la famille, nous apprenions à vivre ensemble. Avec nos différences théoriquement plus faciles à vivre puisqu’on est sensé, déjà de nature, s’aimer. Et ainsi faire de notre humanité, une famille humaine. Amen.